Depuis ces deux rêves que j’avais faits il y a quelques semaines, mes nuits avaient été moins agitées. Je ne pouvais néanmoins pas oublier ces sorties au clair de lune avec les deux couples amis. Je n’avais toujours pas résolu le mystère du kleenex trouvé entre mes jambes à mon réveil. J’étais de plus en plus sûre que la veille au soir je ne m’étais pas endormie avec. D’où provenait-il ? Plusieurs fois, je lui ai cherché une odeur. Il n’en avait aucune. Les miens sont imprégnés de lavande. Pourtant il était un peu froissé comme s'il avait été utilisé. Alors… Par qui ?… Pourquoi ?
Je m’étais vraisemblablement endormie sur ces questions quand soudain je fus réveillée par un bruit étrange. Je regardais l’heure du radio-réveil. Il était une heure du matin. Ce bruit semblait venir de la fenêtre située près de notre lit. J’avais l’impression qu’un oiseau frappait la vitre comme s’il voulait que je lui ouvre pour qu’il se réfugie à l’intérieur.
Par l’ouverture du rideau mal fermé, je voyais bouger des lumières. Il n’y a pas d’arbres devant cette fenêtre. J’étais surprise. Sans faire de bruit, je me glissais hors du lit et ouvris le rideau.
Quelle ne fut pas ma surprise de trouver derrière la vitre mes amies Angélique et Rose. Elles me faisaient de grands signes et m’invitaient à ouvrir. Comment pouvaient-elles se trouver au troisième étage ?
J’ouvris la fenêtre. Comme d’habitude pas besoin de se parler, nous lisions nos pensées.
- "Tu vois… Nous nous promenions et comme nous passions près de chez toi, nous nous sommes arrêtées à ta fenêtre pour te saluer."
- "Mais comment êtes vous arrivées jusqu’ici ?"
- "Mais nous volons bien sûr. Nous sommes dans ton rêve, ne l’oublie pas."
- "Mais vous êtes des anges alors ?"
- "Pas du tout. Toi aussi quand tu rêves tu peux voler. Il suffit de le souhaiter. Essaie !"
Dans ma tête je dis : "Je vole", et à ma grande surprise, je me rendis compte que je pouvais me déplacer sans toucher le sol. Je pouvais aller à droite et à gauche sans effort. Il suffisait que je le souhaite.
- "C’est vrai... Vous avez raison. Mais vous n’avez pas peur de voler si haut ?"
- "Non… Nous ne pouvons pas tomber. Nous n’avons aucune crainte. Il suffit d’y croire et en rêve tout est permis. Nous sommes légères comme l’air."
- "Mais d’où venez-vous ? D’où êtes vous ?"
- "D’où on vient ? Je ne sais pas…" précisa Angélique. "Nous nous promenons au-dessus de la ville pendant que tout le monde dort. Tout est calme, silencieux. Parfois nous rencontrons un oiseau de nuit. Tout à l’heure nous avons croisé une chouette sympa qui nous a saluées. Tu n’as jamais voyagé ainsi toi ?"
- "Mais je vous ai rencontrées dans la parc, c’est tout. Je ne savais pas que l’on pouvait se rendre légère et voler."
- "Mais si… Ca n’est pas ton corps qui vole, c’est ton double. Tiens… Regard sur ton lit, tu dors."
Je tournai la tête vers le lit et ma surprise fut grande de me voir endormie, la tête sur l’oreiller, bien au chaud sous la couette.
- "Tiens Martine… Cette nuit il est tard, le jour va bientôt se lever et nous allons nous éveiller. Mais bientôt nous reviendrons te chercher et nous irons nous promener toutes les trois. Tu veux bien ?"
J’acquiesçais évidemment. Elles me firent signe "au revoir" et s ‘éloignèrent en volant au-dessus de la ville. Je les vis disparaître.
Au moment où je fermais la fenêtre, je sentis un grand choc comme si je tombais lourdement. En fait je me retrouvais dans mon lit, bien éveillée. Il y a quelques minutes, le radio-réveil marquait une heure du matin. La visite n’avait duré que quelques instants et voilà que les infos de six heures trente me tirèrent de mon sommeil. Avais-je rêvé pendant quelques minutes ou pendant plus de cinq heures ?
Ces rêves et ces deux filles m’inquiétaient vraiment. Elles avaient promis de venir me chercher. Il fallait impérativement que j’oublie tout cela pour ne pas être victime d’autosuggestion même dans mon sommeil.
J’allumais la lampe de chevet. Je ramassais le kleenex que ma maladresse avait fait tomber et le reposais sur la table de nuit. Mon compagnon grogna en s’étirant. Je me demandais si je devais lui raconter tout cela. Je n’en fis rien.
Je glissais les pieds dans mes chaussons et comme chaque matin, traditionnellement me dirigeai vers les toilettes.
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Devais-je rire ou prendre au sérieux ce voyage promis par Rose et Angélique ? En fait, j’avais fini par l’oublier. Ce qui me préoccupait le plus, c’était ce kleenex sans aucun parfum, étranger aux miens, et que j’avais trouvé entre mes jambes après un rêve au parc et qui attendait sur la table de nuit que j’obtienne la réponse à cette question.
Nous étions le 21 mars. Une nuit de pleine lune. Ce détail m’avait échappé. Mon compagnon étant en voyage, je dormais seule. J’avais l’impression d’être éveillée quand j’entendis gratter sur la vitre de la fenêtre. Je descendis du lit pour aller voir. Mes deux amies m’attendaient.
- "Nous venons te chercher. Nous allons profiter des pouvoirs de la pleine lune pour te faire voir plein de choses. Si tu crains d’avoir froid tu peux t’habiller si tu veux. Nous nous avons l’habitude. Prends aussi un kleenex on te fera voir quelque chose."
Pleine d’appréhension mais confiante, je saisis les mains qu’elles me tendaient et m’envolais par la fenêtre. C’est vrai que je pouvais voler. Je me déplaçais comme ma pensée le souhaitait. Elles riaient et s’amusaient de mes maladresses.
Je reconnaissais les rues de la ville endormie. Peu de fenêtres éclairées, mais la lumière crue de la pleine lune sur les toits.
Elles m’expliquaient pourquoi nous étions là toutes les trois. Nous n’avions pas de corps. Personne ne pouvait nous voir. Des anges… Des esprits quoi. On pouvait toucher sans laisser de traces.
- "Nous t’avons dit que tu pouvais t‘habiller. Tu crois avoir tes vêtements, mais tu n’en as plus. Personne, sauf nous, pouvons les voir. Nous n’avons plus rien de matériel. Nous sommes des oiseaux invisibles. Nous sommes dans un monde qui n’existe que pour nous. Nous pouvons faire ce que nous voulons sans déranger les terriens."
- "C’est vrai…" dit Rose. "Regarde..."
A l’horizontale, les bras allongés comme des ailes, elle écarta à peine les jambes pour faire un pipi d’oiseau.
- "Tu vois ? ... A peine sorti il a disparu. Comme nous."
- "Nous pouvons toutes le faire…" dit Angélique. Et debout, immobile devant moi, elle leva sa chemise de nuit pour laisser s’échapper à son tour un vrai pipi sifflotant et généreux. Instinctivement je lui tendis le kleenex que j’avais mis dans ma poche. Elle se mit à rire.
- "Non… C’est comme l’autre nuit dans le parc. Pas besoin ici. Tout a déjà disparu." Elle passa sa main sur son sexe comme pour prouver qu’il était bien sec. "C’est nous qui, au parc, t’avons mis le kleenex en souvenir de notre rencontre. Tu ne l’as pas remarqué ? A toi Martine… Essaie ! Ne crains rien. Il n’y a que nous pour te voir."
Je m’étais habillée pour les suivre. Si cela n’était pas gênant pour voler, en tenue de ville j’étais un peu empruntée pour faire comme elles. Et c’est en "terrienne" que je levais ma jupe devant moi, que j’écartais la jambe de mon slip sous les petits rires amusés de mes copines. Je ne pouvais pas me mettre dans la tête que ce pipi serait virtuel, et qu’il n’arriverait pas sur la terre dans la rue ou un parterre.
J'ai fini par réussir à me lâcher et mon jet partit droit devant moi pour disparaître presque aussitôt.
- "Bravo..." dit Angélique "Hop... Disparu ! Passe tes doigts, tu verras, ils sont secs. Pas besoin de kleenex comme sur terre."
Je vérifiai qu’effectivement j’étais restée bien au sec.
- "Passe le quand même sur ton sexe, puis fais-en une boulette, et jette-la en l’air."
Bien que surprise, c’est ce que je fis. Je pratiquai un simulacre d’essuyage, fis une petite boule du kleenex et le jetai au-dessus de moi.
Subitement il se transforma en jonquille qui descendit lentement vers le sol.
Rose m’expliqua qu’au printemps c’était le pipi des anges qui faisait fleurir les parterres.
Nous avons encore plané ensemble un bon moment. La ville était presque belle vue de la hauteur où nous nous trouvions.
Mes amies m’accompagnèrent jusqu’à ma fenêtre avec la promesse de revenir me chercher une autre nuit. Elles avaient encore plein de choses à m’expliquer. Je quittais mes vêtements et me glissais dans mon lit. Je crois que j’ai encore dormi jusqu’au matin. Au réveil le kleenex n’était plus sur la table de nuit.
Vers huit heures, je me suis rendue au parking souterrain pour prendre ma voiture. En longeant le parterre qui borde l’immeuble, je vis trois jonquilles que je n’avais pas remarquées la veille.
Encore de quoi faire travailler mon imagination.